lundi 9 septembre 2019

Le Taj Mahal enfin ...!

Vingt ans que nous sillonnons l'Inde, que nous rêvions de cet instant magique avec l'édifice devenu la représentation internationale de l'Inde, pure incarnation d'un amour éternel d'un homme pour une femme. Subjugués par la beauté de ce magnifique palais photogénique, accompagné d'un photographe attitré, nous prirent le temps de nous imprégner des lieux, de son atmosphère, d'observer les gens vaquer à leurs occupations comme ces dizaines de jeunes femmes aux couleurs chaudes en contraste avec le blanc intense du Taj, replantant les pelouses au vert tendre, brin par brin. Afin de mettre en scène l'émotion qui allait nous étreindre à la simple vue du joyau classé au patrimoine mondial de l'humanité que nous ne connaissions que par les photos, livres et reportages en tous genres, la veille nous avons souhaité le découvrir depuis le Fort d'Agra situé sur la rive opposée (gauche) de la Yamuna, lieu de résidence devenue a son tour la geôle du commanditaire de la construction du Taj, l'empereur moghol* Shâh Jahân. Le Taj Mahal ou encore le "Palais de la couronne" en persan, édifié sur la rive droite de la Yamuna au cœur d'un jardin moghol de 17 hectares est considéré comme le plus grand joyau architectural de l'art indo-islamique. Construit à Agra dans l’État de l'Uttar Pradesh (à moins de 220 km de l'aéroport de New Delhi) sur la demande de l'empereur moghol dès 1632 en mémoire de sa 3e épouse favorite, Arjumand Banu Begam, surnommée Mumtaz Mahal, la "Merveille du Palais", morte à 39 ans en donnant naissance à leur 14 ième enfant, il est l'un des chefs-d'œuvre universellement admirés non seulement du peuple indien mais du monde entier. Tout de même un paradoxe persiste, car si cette merveille née d'un chagrin d'amour est devenue l'emblème de l'Inde, ce temple de l'amour déclenche ces dernières années les foudres de certains nationalistes hindous qui y voient un pur symbole de domination musulmane. On ne peut nier que se sont les musulmans qui donnèrent à Agra sa grandeur, grâce aux empereurs Moghols et plus précisément avec "Babur le Conquérant" qui venant d’Afghanistan arrêta sa course invasive sur les rives de la Yamuna en 1526. C'est son petit fils Akbar, grand réformateur de la société indienne sur le plan administratif et culturel à ses heures, qui fonda l'impressionnant Fort Rouge à Agra et sa descendance, notamment Shah Jahan, l'embelli de jardins et somptueux palais. 
Soucieux de mettre en évidence les propos du poète indien Tagore, prix Nobel de littérature en 1913, disant du Taj Mahal qu'il "s'élevait au bord du fleuve telle une larme solitaire posée sur la joue du temps" nous prirent position sur le Fort Rouge afin de le découvrir comme Shâh Jahân l'a vu jusqu'à sa mort en 1668. En effet, Aurangzeb qui usurpa le pouvoir (car parvenu sur le trône en commettant un assassinat) embastilla Shâh Jahân (son père déjà malade) en 1658 dans le Fort duquel il avait une vue imprenable sur le mausolée blanc éclatant où reposait sa belle. 
Le Fort Rouge avec ses larges fossés et crénelures artistiques donne un aperçu de la puissance et de la richesse de l'empire Moghol qui domina une grande partie de l'Inde au 17e siècle. Sous la forme d'une énorme forteresse entourée de puissants remparts de grès rouge, hauts de 21 m, longs de 2,5 km, le fort domine la Yamuna (affluent du Gange) et offre une vue féérique sur le Taj Mahal. La visite de ce lieu intemporel qui abrita quatre générations d'empereurs se fait aujourd'hui par la porte Amar Singh, jadis la porte réservée au seul empereur Akbar, débouchant sur une longue rampe à éléphants. En franchissant la première porte, puis la deuxième aux deux tours rondes ornées de mosaïques, en entamant la longue montée par la rampe à éléphants, on ne peut que penser aux difficultés que tout envahisseur s’apprêtait à endurer pour espérer faire tomber ce bastion encore en partie aux mains de l'armée indienne aujourd'hui, s'il était arrivé jusque là. Car avant de s'attaquer à la forteresse il fallait franchir deux enceintes, l'une occupée par des douves, l'autre par des lions et tigres. 
Enfin arrivés en haut sur la plateforme, sur la droite se dresse le palais de l'empereur Jahangir (fils d'Akbar), but ultime de notre première visite. Bâti en grès rouge en 1565, mêlant styles hindou et musulman, la première porte donne accès à un grande cour avec arcades et piliers finement sculptés. Reste plus qu'a se laisser aller parmi la multitude de passages, salles et corridors finement décorés, ciselés, incrustés de pierres semi-précieuses, parfois pour certains recouverts de stucs, de mosaïques, de motifs de fleurs et oiseaux. Enfin, on marque un moment tout particulier lorsqu'on entre dans la grosse tour octogonale, construite à l'origine par Shâh Jahân pour sa belle (Mumtaz Mahal) et qui devint plus tard sa propre prison avec vue exceptionnelle sur le Taj Mahal. Cette première visite faite, nous sommes désormais prêts pour pour visiter l'imposant monument de marbre blanc incrusté de pierres précieuses apparaissant, n'en déplaise à quelques féministes n'ayant retenu que l'exploitation mortelle d'une femme ayant vécu avec 2000 de ses congénères au sein du harem impérial, comme le décor rêvé pour consacrer notre contemporaine histoire d'amour. 
Bien que conscients de ce que cette magnificence issue d'un chantier pharaonique (20 000 meilleurs ouvriers et artisans venus de l'ensemble de l'empire aidés de 1000 éléphants) à pu couter en son temps tant sur le plan humain que matériel aux populations indiennes, pour nous, c'est l'aspect féérique que cet endroit procure qui nous attire et que nous souhaitons relater, partager. A l'image des grands de ce monde, nous avons voulu immortaliser à vie cette immersion dans ce "conte de fée" avec le service d'un photographe afin de n'avoir qu'a vivre l'instant présent, sans se soucier de trouver le bon angle de vue, etc. etc. comme si nous étions seuls à jouir, ne serait-ce que quelques heures, de ce joyau unique au monde. 
D'une ambition extrême, le projet né de celui dont son nom signifiait "roi du monde" faisant état d'autorité suprême, enclin à une forme de folie des grandeurs, était à l'époque tout aussi grandiose qu'onéreux, surpassant les merveilles du monde. En faisant le choix du marbre blanc orné de pierres précieuses et semi-précieuses, Shâh Jahân affichait à la face du monde sa richesse et son originalité car les monuments d'empereurs moghols étaient classiquement en grès rouge. Une légende dit même que l'empereur aurait fait tuer la fiancée de l'architecte principal (Ustad-Ahmad) pour qu'il comprenne et traduise dans son projet sa douleur endurée et à la fin du chantier lui aurait fait couper les mains et ôté la vue afin qu'il ne soit pas capable de reproduire le monument. Pour l'atteindre, la mise scène est parfaite car les parkings restent éloignés du fait d'avoir une zone tampon de protection contre la pollution, on y arrive via des navettes électriques et reste invisible. Même à l'intérieur rien ne laisse transpirer ce que nous découvrirons après le passage d'une ultime porte. Les architectes qui avaient compris la magie de la mise en scène théâtrale eurent a cœur de dissimuler le mausolée derrière un immense porche de grès rouge si bien qu'on le découvre brutalement avec tout le suspense d'un rideau qui se lève. La vision est alors éblouissante, irréelle avec le contraste des couleurs, le blanc éclatant surgissant d'une ambiance granitée rouge. Planté au centre d'une vaste plateforme, il se dresse colossal et en même temps léger, aérien au point qu'il semble flotter dans les airs sans doute grâce au long bassin qui le réfléchit. Comme si venant d'une pièce sombre nous avions ouvert une porte sur un jardin ensoleillé, subjugués par la beauté des lieux, le blanc intense et lumineux, la grandeur de l'édifice, on s'empresse de faire le premier "spot idéal", photogénique, rappelant la symétrie parfaite des lieux. 
Touchés de pleine face par tant de majesté et de beauté par ce lieu pourtant à nos yeux virtuellement familier, nous réalisions que nous n'étions pas préparés à ce que nous allions voir en vrai pour la première fois : le Taj Mahal dont nous avions tant rêvés était là. Bien qu’excités à l'idée de découvrir pour la première fois la dernière demeure de l'empereur et de sa belle, timidement nous prenons le temps d'avancer lentement, par étapes, le long du bassin puis dans le parc planté d'arbres parmi les pelouses en remplacement des massifs de fleurs d'antan, ou de nombreux bancs s'offrent aux âmes romantiques qui multiplient ainsi les "spots photos". La polychromie des parterres d'un vert éclatant qui bordent les larges allées rougeâtres sous un ciel bleu met encore plus en valeur les changements de tonalités et nuances du blanc du mausolée. A cet instant on n'imagine pas que la structure du bâtiment est en simple maçonnerie de briques hourdées au mortier de chaux, revêtue de grès rouge avec comme finition le marbre blanc finement ciselé, serti d'incrustations florales (tulipes, lotus, jasmins, fuchsias, chrysanthèmes) à partir de pierres précieuses (rubis, jade, agate, corail, onyx, lapis-lazuli). On distingue à minima trois types de décoration au Taj Mahal : les peintures, les bas-reliefs et les pietra dura (incrustations de pierres précieuses ou semi-précieuses sur les plaques de marbre).  
Les motifs représentés sont des plantes, des fleurs, mais aucun animal ni êtres humains. La pietra dura est une technique d'incrustation lapidaire inventée et popularisée par les florentins au XVIe siècle, passés maître dans cet art. Lors de la construction du Taj Mahal, Shah Jahan qui fit appel aux meilleurs artisans et appela donc aussi les artisans florentins (ne pas hésiter à visiter les ateliers locaux ou cette pratique est toujours en vigueur). Les constructeurs ayant joué sur une combinaison rythmée de pleins et de vides, d'ombres et de lumières, le contraste entre le rouge et le blanc, le blanc et le noir pour l'incrustation des inscriptions, l'ensemble se trouve être très réussi. Par ailleurs les éléments de la discorde entre hindous et musulmans quant à faire de ce joyau l'emblème de l'Inde tient peut-être à ces dernières inscriptions rappelant le devoir de piété de tout bon musulman sur la porte d'accès aux jardins et sur le mausolée lui-même. Malgré le flot de touristes, le site reste un havre de paix dans lequel le visiteur à l'impression d'être hors du temps, vivant son propre conte de fée. Enfin si le mausolée est le plus connu, le Taj est avant tout un ensemble de bâtiments, de jardins, de plans d'eau et de fontaines à la symétrie parfaitement organisé. Il comprend deux mosquées dont une seule est utilisée, trois portes de style iranien, trois bâtiments de briques rouges, une fontaine centrale et quatre plans d'eau. Monument le plus visité et connu d'Inde, son symbole est comme la statue de la liberté pour les États-Unis, la tour Eiffel pour la France, ou la statue du Christ rédempteur pour le Brésil. Quoiqu'on pense du bienfondé de l'existence de ce joyau décrié par les uns, adulé par les autres, le Taj Mahal reste considéré à nos yeux comme le plus grand chef-d’œuvre architectural de l’art indo-islamique alliant perfection d’harmonie et qualité d’exécution exceptionnelle. 
Loin de penser que ce joyau soit l'unique symbole d'une domination masculine archaïque, le fait qu'il se soit entouré de multiples légendes non vérifiables, nous avons choisi de nous en tenir à l'histoire d'amour et au romantisme que procure la visite du Taj Mahal ... nous promettant d'y revenir au gré des visites en cette partie de l'Inde.
A titre indicatif, en matière d'hébergement, nous avions choisi l'hôtel The Trident à Agra.
(*) Mais qui étaient les Moghols ? A ne pas les confondre avec les mongols, peuple du Nord de la Chine, conquérant des terres d'Asie centrale. Les moghols formèrent une dynastie créé par Bâbur au début du XVIe siècle sur les restes du sultanat de Delhi. Descendant de Tamerlan, Bâbur était issu d'une famille seigneuriale turque. Il partit à la conquête du royaume de son père, le trône du Ferghana, face à d'autres prétendants, et l'obtient. Puis, craignant les Ouzbeks, il dirigea l'armée qu'il avait réussi à former sur le Pendjab et finit par conquérir Kaboul, Lahore, puis Delhi. Son fils Humayun poursuivit son œuvre étendant l'empire sur tout le Nord de l'Inde, de l’Afghanistan au Bengale. A partir de là, les autres empereurs ne firent que perdre de leurs influences, jusqu'à la colonisation anglaise durant laquelle la dynastie prit fin.
InDi

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