dimanche 24 janvier 2021

Ayyanar, le dieu tamoul au naturel pour le peuple chettiyar

Au Tamil Nadu, sur un territoire grand comme trois départements français, ce ne sont pas les grands temples avec leurs Gopurams ornés de dieux multicolores, comme le plus souvent dans cette partie sud de la péninsule qui font la vedette, mais des sanctuaires abritant dieux protecteurs païens et divinités villageoises au coin des champs, veillant sur une campagne immuable aux paysages baignés de soleil. Sur toile de fond d'immenses plantations d'anacardiers et de rizières au vert tendre sur lequel les femmes aux saris relevés apportent des taches de couleurs chaudes, nous arrivons au Chettinad par des routes ou nous croiserons des tribus de singes espiègles et quémandeurs, assis sur le bord de la chaussée, à proximité de vendeurs de noix de cajou.
Dans cette microrégion à la fois aride et verdoyante, plus connue pour ses maisons palatiales, abandonnées et rongées par la végétation, réparties parmi les 74 villages coincés entre Rameshwaram, Madurai, Trichy et Tanjore, preuve d'une opulence ancestrale, subsiste une religion locale propre au peuple Chettiar. En ces lieux ou la nature reprend ses droits, nous nous sommes donc interessé au dieu Tamoul Ayyanar, fortement vénéré, censé amener la prospérité pour la culture des champs, faire pleuvoir, protéger les enfants, le bétail, la nature, les villages et ses habitants des esprits démons en patrouillant toute la nuit...
Adieu palais et demeures Chettiar et consacrons-nous uniquement à la vénération d'Ayyanar en nous attardant à ces sanctuaires souvent implantés en périphérie des villages ou en forêt, dont le coeur se retrouve être un banyan sacré, devant lequel, en signe d'offrande au Dieu, se retrouvent alignés des chevaux, des vaches ou éléphants en terre cuite. 
Souvent, à l'identique du sanctuaire d'Ellangudipatti situé en pleine nature, dans un bois sacré, de part et d'autres de l'allée principale nous menant à l'arbre sacré, sont amassés par centaines, petits chevaux, vaches, éléphants, serpents, tortues, souris en terre cuite, réalisés par des prêtres potiers. Bien que cette pratique ne soit pas propre au culte d'Ayyanar, il n'est pas rare non plus, à proximité, de trouver de nombreuses figurines votives correspondant aux offrandes en guise de remerciement au Dieu pour sa protection ou pour un évènement heureux, réalisé ou à venir, comme un mariage ou une naissance.
Si les villageois mettent une attention toute particulière dans le style des figurines en terre cuite pour les offrandes à Ayyanar, souvent associées par erreur à une forme d'art tribal, c'est aux prêtres de la communauté des potiers Vellars (du nom de la petite rivière traversant Aranthangi, dans le district de Pudukkotai) que revient la réalisation des statues monumentales de certains chevaux. Même si aujourd'hui, chevaux et éléphants, comme ceux que nous avons pu ramener en France, sont réalisés en béton peint dans un style naïf, nous nous laissons prendre par l'émotion du sacré qu'ils suscitent. Toutefois, c'est au sanctuaire d'Ellangudipatti, où dès le cheminement parmi les centaines de représentations d'animaux et de chevaux riants que nous avons le mieux ressenti le sacré, le lâcher-prise nous invitant à une entrée dans l'univers des temps anciens. Loin des bruits habituels des villes, nous sommes saisi par un sentiment étrange au milieu de cet amoncellement de statues fortement chahutées par les successives moussons, dont certaines disparaissent déjà au profit de la nature, recouvertes par la végétation, les buissons et ou seuls quelques débris émergent du sol. A l'instar du sanctuaire dont nous venons d'évoquer la communion avec la nature, la "terre-mère", dans le très populaire temple Sri Solai Andavar dans le village de Kothari dans le district de Sivaganga, dédié au Dieu Ayyanar, y règne une atmosphère semblable aux temples shivaïtes et vishnouites, peut-être tout simplement parce qu'on le dit né de l'union de Shiva et de Vishnou.
D'ailleurs, la place de ce culte pratiqué par des prêtres non brahmanes issus de la caste des potiers, hérité de pratiques locales depuis plusieurs générations, dans l'échelle du temps reste pour nous un mystère : 3ème millénaire avant notre ère pour les uns, 13ème siècle pour d'autres. Une part de vérité réside certainement dans le fait que le culte d'Ayyanar pratiqué depuis la nuit des temps dans les "bois sacrés", hors des villages, adopté par la quasi-totalité du monde rural, profondément lié au système ancestral, à la nature et à la fécondité ai pu être récupéré par opportunisme au 13ème siècle par les partisans à l'émergence de l'hindouisme comme religion d'Etat. Rien ne semble pourtant avoir changé dans sa pratique originelle, puisque le culte au Dieu protecteur des inondations et des sècheresses reste encore associé à des offrandes sacrificielles de nourriture végétarienne pure, exception faite pour ses serviteurs, dieux eux-aussi, au nombre de 21, aux quels poulets et chèvres sont offerts, expliquant la persistance du sacrifice de sang sur certains sanctuaires. Parce que les Dieux se retrouvent classés suivant leur hiérarchie sociale et économique, celui au plus haut rang se veut être végétarien tandis que que celui au plus bas du classement se retrouve être non végétarien. Pour rappel, ce Dieu à l'aspect féroce, accompagné de ses 21 serviteurs, du haut de son cheval blanc, l'épée ou le trident à la main, lutte toutes les nuits contre les démons et dieux maléfiques qui menacent les villages. A l'aube, après avoir chassé les esprits malfaisants, Ayyanar accompagné de ses divinités regagne son sanctuaire dans le "bois sacré", à l'identique de celui d'Ellangudipatti.
Ainsi, si comme nous vous passez dans les villages de Kothamangalam, de Kothari, d'Aranthangi, vous comprendrez alors combien ce Dieu aux couleurs vives sur son cheval blanc, adoré en pleine nature, au milieu des forêts, occupant une place majeure dans les villages en raison des valeurs installées dans la vie familiale et communautaire, puisse séduire les voyageurs que nous sommes, principalement lorsqu'on le découvre au détour d'un chemin...

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